Gounouj puise son inspiration dans le site de Gros Morne/ Grande-Anse (Deshaies, Guadeloupe), là-même où une première version de 30 minutes, “Gounouj in situ”, pour un trio de danseurs, a été créée les 15 et 16 décembre 2022, dans le cadre du dispositif « Mondes nouveaux » initié par le Ministère de la Culture.
Une des caractéristiques descriptives de Gros Morne/ Grande-Anse est celle d’être à un stade climacique, c’est-à-dire d’être un milieu où faune, flore, conditions atmosphériques notamment, sont à un point d'équilibre parfait. Or, le maintien de cet état est aujourd'hui compromis sous l'influence des actions humaines. En effet, la question de la préservation de nos environnements amène actuellement un ressenti complexe pouvant mêler affliction, découragement, dépit et en même temps espoir, langueur vers du positif.
Cette alliance de sentiments a priori contradictoires trouve une résonance dans les notions de saudade et de bousyè.
Saudade [sodadʒi] est un mot portugais qui n’a pas d'équivalent en français. Il définit un état émotionnel complexe entre nostalgie, douce tristesse et espoir, dans un rapport au temps qui passe.
Bousyè [bu:sjɛ] est quant à lui un mot créole décrivant au sens propre l’état d’un crustacé en période de mue. Ce processus signifie que sa carapace se ramollit et se fragilise afin de permettre la création d’une nouvelle carapace plus grande. Au sens figuré, c’est l’acceptation par une personne de sa vulnérabilité, d'être à fleur de peau afin de permettre son développement non seulement inévitable mais nécessaire.
Ces deux notions de saudade et de bousyè amènent une "tension entre contraires"* qui nourrit la pièce Gounouj.
Dans Gounouj, les danseurs témoignent par leurs mouvements de leur passage par ces états polarisants. Avec une inspiration affirmée dans la culture guadeloupéenne, les interprètes jouent avec les notions d'équilibre et de déséquilibre présentes dans la danse gwoka, mais également dans la relation complexe et fine qui lie le dansè et le makè du Léwoz.
La version plateau s’attachera à créer des conditions scénographiques rappelant l’atmosphère singulière de ce site d’inspiration, de son environnement et de ses spécificités sonores notamment. Il s’agira moins d’apporter les éléments figuratifs du site sur scène, que d’en trouver l’essence pour en recréer les vibrations particulières.
Gounouj veut dire grenouille en créole, dans certaines régions de la Guadeloupe.
*Adelino Braz, « L'intraduisible en question: l’étude de la saudade », RiLUnE, 2006